Quand le mercure grimpe, les pertes s’accumulent
Les canicules de ces dernières années ont rappelé que la chaleur n’est pas qu’un inconfort : en 2003, deux semaines de températures extrêmes ont fait bondir la mortalité bovine de 24 % en France, un record resté dans tous les esprits.
Sur le volet production, des chercheurs viennent de montrer qu’une journée où l’indice température-humidité (THI) reste élevé peut réduire de 10 % la production laitière, et qu’un seul pic thermique laisse des séquelles durant plus d’une semaine. Ajoutez à cela la baisse d’appétit, les mammites qui explosent, les inséminations qui ne prennent plus. Vous comprenez pourquoi le stress thermique n’est plus un sujet secondaire : c’est une question de santé animale, mais aussi de chiffre d’affaires.
Pourquoi les animaux souffrent encore plus que nous
Quand la chaleur s’installe, chaque espèce révèle son talon d’Achille :
- 🐄 la vache (gros ruminant) transpire peu et son rumen génère de la chaleur à l’image d’un poêle à bois ;
- 🐐 les chèvres et brebis (petits ruminants), ont les mêmes problèmes du fait du même système digestif que les bovins. Leur stress thermique augmente d’autant plus que le taux d’humidité dans l’air s’accroît ;
- 🐖 le porc, dépourvu de glandes sudoripares, ne mise que sur un halètement pour baisser sa température corporelle. Ce réflexe devient rapidement inefficace ;
- 🪿 les volailles, enveloppées dans leurs plumes, peinent à dissiper leurs calories. Résultat ? Leur équilibre thermique bascule donc plus vite que le nôtre : dès que la chaleur ne trouve plus d’issue, on entre dans le stress thermique.
Les répercussions telles que la chute d’appétit, la production en berne, l’immunité fragilisée, les troubles de reproduction ou retards de croissance peuvent se prolonger bien après le retour d’une température plus fraîche, parfois plusieurs semaines. Autrement dit, nos animaux sont moins armés que nous pour supporter la canicule et sans prévention, le contrecoup sur leur santé et leurs performances devient inévitable.
Les signaux d’alertes à ne jamais banaliser
Un éleveur de ruminant averti doit savoir déceler les premiers signes de malaise thermique chez ses bêtes. Les symptômes les plus courants sont souvent comportementaux :
- Une vache ou une chèvre en surchauffe va haleter rapidement, bouche ouverte dans les cas graves, avec les flancs qui battent à un rythme anormal.
- On observe une baisse de consommation de la rations (les animaux réduisent leur ingestion), et souvent l’animal est apathique (manque d’énergies).
- Parfois, au contraire, les bovins restent debout immobiles pendant des heures dans les zones de courant d’air, le cou tendu, pour maximiser les échanges d’air.
- Beaucoup présentent une salivation excessive : des fils de bave qui pendent, signe de congestion.
- D’autres indices doivent vous alerter : un troupeau regroupé de façon inhabituelle (regroupement au soleil) ou au contraire un animal isolé couché alors que ses congénères sont debout.
Chaque espèce a ses manifestations spécifiques. Chez les porcins, méfiez-vous des porcs qui respirent par à-coups avec le ventre : cette respiration abdominale trahit un effort pour ventiler, c’est un signe d’urgence.
Du côté des volailles, les poulets et poules pondeuses souffrent vite au-delà de 25-30°C. Une poule qui a trop chaud va écarter largement ses ailes du corps et haleter bec grand ouvert. Souvent, elles se couchent à plat ventre sur le sol pour tenter de dissiper la chaleur par conduction. Une crête anormalement pâle, une chute brutale de ponte ou des volailles qui restent prostrées sont autant de signaux d’alarme.
En un mot, rien n’est normal dans le tableau d’un animal qui halète, bave ou reste figé en plein été. Ce ne sont pas de petites manies passagères dues au temps : les animaux expriment un inconfort très marqué.
Les erreurs qu’on voit trop souvent
Malgré la récurrence des canicules, certaines erreurs d’appréciation coûtent cher chaque été :
- La première, c’est d’attendre le pic de chaleur pour réagir. Beaucoup d’éleveurs se disent qu’ils aviseront quand le thermomètre atteindra un seuil critique. Or, quand vos bêtes commencent à souffrir, il est parfois déjà trop tard. Les dommages (baisse de lait, coup de fatigue, avortements) sont enclenchés et il est bien plus difficile de rattraper la situation que de l’avoir anticipée. N’attendez pas qu’un animal soit en détresse respiratoire pour agir.
- Deuxième erreur fréquente : arroser les animaux sans réfléchir. Si l’air est saturé d’humidité, l’eau ne s’évapore plus et crée une atmosphère étouffante autour de l’animal. Au-delà de 70 % d’hygrométrie, asperger une vache ou un cochon aggrave le problème au lieu de le résoudre, c’est pourquoi la brumisation en bâtiment fermé est à proscrire. La bonne pratique ? Rafraîchir oui, mais intelligemment : douchage à l’auge, couplé à de la ventilation pour rafraîchir efficacement les animaux sans générer de stress supplémentaire. Arroser le toit du bâtiment ou le sol de la cour est souvent plus efficace que d’arroser directement les bêtes.
- Enfin, l’autre piège est de négliger le risque de panne. Qui dit canicule dit parfois orage violent ou tension sur le réseau électrique et ventilateurs à l’arrêt. Une simple coupure de courant en plein après-midi peut tourner au cauchemar. On se souvient qu’en 2020, 400 porcs sont morts étouffés dans un élevage breton suite à une panne de ventilation un jour de canicule. De même, chaque été, des milliers de poulets périssent en quelques minutes si les extracteurs lâchent. Ayez un groupe électrogène de secours ou au moins un système d’alarme sur la ventilation. Anticiper, c’est éviter le pire.
Les réflexes essentiels pour traverser l’été
Pour protéger vos animaux des coups de chaud, pas besoin forcément d’investissements lourds : ce sont souvent les gestes simples et anticipés qui sauvent la mise. Voici un liste de recommandations à mettre en place et à personnaliser selon vos ateliers :
🌳 Multiplier l’ombre
En ruminant, réservez les parcelles les plus ombragées pour l’été, plantez ou préservez les arbres dans les parc à volailles, installez des filets ou des bâches sombres. Adaptez les bâtiments en réduisant le rayonnement, jouez sur les entrées d’air basses, occultez les panneaux translucides… Dès 11 heures, l’ombre fait baisser la température ressentie de 5 à 7°C : c’est souvent suffisant pour éviter le seuil de stress.
🚿 Associer douchage et ventilation
Un brassage d’air rafraîchit d’autant plus qu’il est associé au douchage des animaux. Vérifiez vos extracteurs, nettoyez grilles et pales, testez la vitesse avant les fortes chaleurs.
💦 L’eau, encore l’eau
Une vache laitière peut boire jusqu’à 150 litres par jour en canicule, un porc en finition, 10 litres et une poule pondeuse, le double de sa ration habituelle. Bref, prévoyez large : abreuvoirs multiples, débit suffisant, nettoyage régulier. Placez les bacs à l’ombre pour éviter l’eau tiède et ajoutez, si besoin, un second circuit d’appoint.
📆 Adapter le planning
Traite, chargement, soins : tout ce qui exige un effort doit être déplacé à l’aube ou en soirée (périodes les plus fraîches). La ration principale peut être distribuée après 21 heures. Les animaux la consommeront quand la température retombera, sans se mettre en danger. Pour ce qui est des vaches, conserver les animaux en bâtiment la journée et les sortir la nuit.
👀 Surveiller les plus fragiles
Jeunes veaux (emplacement et qualité des niches à veau), truies allaitantes, vaches en fin de gestation ou hautes productrices sont les premiers à basculer en stress thermique sévère dû à un coup de chaleur. Installez-les dans la zone la plus ventilée, donnez-leur un accès prioritaire à l’eau et observez-les deux fois par jour.
🚨 Prévoir le plan d’urgence
Le numéro de votre conseiller technique Cerfrance, un nécessaire d’intervention d’urgence (perfusion/solution réhydratante…), thermomètre électronique chargé, tuyau d’arrosage longue portée, générateur prêt à démarrer. Le meilleur moment pour vérifier ces détails, c’est avant la canicule, pas pendant.
🌤️ Garder un œil sur la météo
Les alertes orange « canicule » de Météo-France sortent souvent trois jours avant, elles doivent déclencher votre mode “prévention automatique”. Un simple rappel calendrier ou l’utilisation d’une appli sur téléphone dédiée au stress thermique, peut vous sauver plusieurs milliers d’euros de pertes .
En conclusion
La canicule n’est plus un épisode exceptionnel, c’est un rendez-vous régulier avec lequel il faut être en préparation. Vos animaux n’ont pas la faculté de se plaindre. Ils montrent, silencieusement, les signes d’une chaleur qu’ils ne savent plus évacuer. Quelques gestes simples pris à temps comme donner plus d’ombre, plus d’air, plus d’eau, moins de stress peuvent faire la différence entre un été maîtrisé et un automne plombé par les pertes.
Préparez-vous maintenant : vos animaux, votre portefeuille et votre tranquillité d’esprit y gagneront dès les premiers jours de fort soleil. Cet été, la chaleur frappera et à vous de décider si elle trouvera un troupeau vulnérable ou des animaux protégés et performants.
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