Selon le Recensement agricole 2020 publié par l’Insee, environ 200 000 chefs d’exploitation agricole atteindront l’âge de la retraite d’ici 2030. Leurs fermes petites, moyennes ou grandes, conventionnelles ou bio, cherchent des repreneurs capables de produire l’alimentation de demain, de respecter l’environnement, d’innover dans les systèmes de production en faveur de ces deux thématiques, tout en vivant de leur métier.
Si vous lisez ces lignes, c’est que vous faites partie de cette vague montante : jeunes diplômés agricoles tout récents, candidats à la reconversion, enfants ou petits-enfants d’agriculteurs, parfois porteurs d’un projet en couple, seuls ou entre amis.
À l’enthousiasme succède très vite la question « Par où commencer ? » Vous avez entendu parler de la Dotation Jeune Agriculteur (DJA), du PCAE, des MAE, des opportunités foncières, des plans bas‑carbone… Et aussi, très vite, d’un labyrinthe administratif dans lequel il peut être difficile de s’y retrouver.
C’est là que certains peuvent se décourager, ou perdent un temps précieux. L’objectif de cet article est simple : vous donner les bons repères, au bon moment, pour transformer une idée en entreprise agricole viable, solide et à votre image, dès votre première année d’installation.
1. Ouvrir le champ des possibles et celui des motivations
Avant de parler foncier, finance ou statut, ancrez votre projet dans vos valeurs. Posez‑vous les bonnes questions :
- Pourquoi l’agriculture ? Est-ce une reprise familiale, un désir d’autonomie, un projet de vie en milieu rural ?
- Le rythme de vie ?
- Élevage bovins laitiers ou viande = astreintes quotidiennes.
- Volailles en plein air = suivis très réguliers ou ramassage des œufs quotidiens.
- Maraîchage = activité très importantes au printemps et en été pour planter et commercialiser les légumes.
- Grandes cultures = pics d’activité intenses lors des semis, suivis et récoltes, et longues périodes d’analyse pour commercialiser la production et préparer la prochaine saison.
- La filière ? Élevage laitier, maraîchage bio, production de céréales. Chaque filière obéit à des contraintes techniques, à des cycles de trésorerie et à des marchés différents.
- Quel mode de vie ? Souhaitez‑vous une structure à taille humaine ou une exploitation de plus grande taille intégrée à haute technicité ?
- Le débouché ? Vendre à la coopérative, monter un magasin à la ferme, livrer un AMAP, fournir un transformateur industriel. Votre débouché dicte votre stratégie de production : volumes de production plus élevés sans transformation pour la coopérative, valeur ajoutée locale pour la vente directe (maîtrise de la production, transformation et commercialisation).
Prenez une demi-journée avec votre conseiller Cerfrance, pour mettre cette vision sur le papier. Prenez un carnet et notez ces réponses. Elles deviendront vos filtres pour sélectionner la surface nécessaire, le dimensionnement des bâtiments et de vos activités, le matériel, le statut juridique et, plus tard, vos partenaires commerciaux pour construire votre projet d’entreprise. Sans ce cap, le risque est de céder à la pression des modes qui ne correspondent pas à votre quotidien rêvé.
2. Comprendre ce qu’on attend d’un porteur de projet agricole
Le métier d’agriculteur ne se limite plus à produire, on attend aussi de vous que vous gériez une entreprise :
- vendre des produits ou achetez des intrants ;
- gérer des salariés (ou de l’entraide) ;
- préserver un territoire et répondre à des règles environnementales ;
- faire évoluer votre entreprise.
Dans cette perspective complexe et pluridisciplinaire, les pouvoirs publics ont mis en place un parcours à l’installation qui permet, entre autres, la possibilité de bénéficier de certaines aides, telles que la Dotation Jeune Agriculteur (DJA). Ce parcours à l’installation commence par :
- Le diplôme : Bac pro, BTS, licence professionnelle. Si vous les possédez, montrez-le et passez à l’étape suivante (certaines équivalences sont possibles).
- Le PPP (Plan de professionnalisation personnalisé) : un parcours de formations ciblées pour réussir votre projet agricole grâce à un plan de formation sur mesure (vous pouvez contacter la Chambre d’Agriculture pour le définir et le mettre en œuvre).
- En lien avec le PPP, la réalisation d’une étude d’installation (EI) qui permettra de définir précisément votre projet et ses conditions de réussites, fixer un plan de financement (souvent par le biais d’un accompagnement par un organisme comme Cerfrance).
- Le dépôt des différents dossiers administratifs (autorisations d’exploiter, EI, DJA…).
⚠️ Erreur fréquente
Les bénéfices de réaliser un parcours « Jeune Agriculteur » sont :
- affiner et sécuriser votre projet professionnel ;
- rassurer vos partenaires ;
- être prioritaire pour l’exploitation de terres agricoles ;
- obtenir des aides (DJA…) et d’autres avantages (subventions d’investissements, abattements fiscaux…).
3. Ajuster votre idée au marché local : confronter le projet à la vraie vie
Une idée de projet d’installation en agriculture n’a de valeur que si elle rencontre une réalité économique. Et cette réalité, elle se trouve sur votre territoire.
Vérifiez si des débouchés existent pour votre production. Par exemple, si vous comptez produire du lait, il faut s’assurer que la laiterie locale accepte encore de nouveaux livreurs ou des volumes plus importants. Les volumes (hors vente directe) sont régis par des contrats qu’ils vous faut obtenir. Si vous envisagez du maraîchage, il se peut que les marchés soient déjà bien pourvus, et que l’offre dépasse la demande. Si vous visez une vente directe, encore faut-il qu’il y ait un marché de consommateurs dynamique à proximité et des lieux de distribution adaptés.
Ce premier travail de vérification ne demande pas d’étude de marché poussée. Il suffit souvent de quelques échanges avec des coopératives, opérateurs privés, des magasins, des restaurateurs ou même d’autres agriculteurs. Cela permet de confirmer vos choix ou d’adapter votre projet sans repartir de zéro. En plus, ces premiers contacts posent les bases de votre ancrage local : un réseau qui, demain, pourra aussi vous apporter des solutions, du matériel partagé ou des débouchés.
4. Poser les premières bases budgétaires
Inutile d’attendre d’avoir une Étude d’Installation complète pour réfléchir à l’équilibre financier de votre projet. Une estimation simple, faite tôt, peut vous éviter de mauvaises surprises. Prenez une feuille, tracez deux colonnes :
Dans la première, listez ce que vous allez vendre : | Dans la seconde, notez toutes les dépenses : |
lait, légumes, viande, céréales… ou percevoir, telles que les aides de la PAC. Estimez des volumes réalistes, à des prix prudents. Pas ceux des bonnes années, mais ceux que vous allez pouvoir atteindre régulièrement. | intrants, alimentation animale, carburant, assurances, fermage ou emprunt, charges sociales, et surtout, un revenu pour vous. |
Ce petit exercice permet souvent de voir si le projet a un début de faisabilité ou s’il faut le revoir. Si la balance est déséquilibrée dès le départ, ce n’est pas une mauvaise nouvelle. C’est juste un signal pour ajuster : diversifier les activités, échelonner les investissements, ou revoir certaines ambitions à plus long terme.
💡 Astuce
5. Sécuriser la terre : achat, location ou portage foncier
Pas d’installation possible sans terre. Même si votre projet est prêt, aucune banque ni dispositif d’aide ne pourra avancer sans un minimum de foncier sécurisé.
3 solutions principales existent, chacune avec ses avantages et ses limites :
- L’achat : sécurisant à long terme, mais implique un investissement souvent lourd dès le départ.
- La location longue durée (bail rural) : plus léger financièrement, durée de 9 à 25 ans, loyer encadré.
- Le portage foncier (via la SAFER ou d’autres porteurs investisseurs) : vous louez d’abord, puis achetez plus tard ; utile si vous avez peu d’apport, mais souvent conditionné à des engagements environnementaux ou des cahiers des charges engageants.
Commencez à chercher dès que votre projet prend forme. Le foncier est un des freins les plus fréquents au moment de l’installation. Pour cela, allez voir : le « Répertoire Départ Installation » à la Chambre d’Agriculture, la SAFER, les notaires, les agences immobilières spécialisées, les mairies ou sollicitez votre réseau !
💡 Ne pas oublier :
6. Assembler vos briques de financement
Un projet agricole solide repose rarement sur une seule source de financement. Il s’agit souvent d’un montage à plusieurs étages, qu’il faut construire avec soin :
- Apport personnel : économies, revente de votre première maison, premiers matériels, soutien familial… Même modeste, il montre votre engagement.
- Dotation Jeune Agriculteur (DJA) ou aide régionale équivalente : souvent autour de 35 000 € (20 000 € de montant de base + 15 000 € pour une installation en élevage + 7 000 € si Bio), versée en deux temps (80 % en année 1 et 20 % en année 4).
- Prêt bancaire plus avantageux : avec potentiellement un différé de remboursement, pour vous laisser souffler les premières années.
- Prêt bancaire classique : à ajuster pour ne pas déséquilibrer votre trésorerie.
- Aides complémentaires : souvent sous forme de subventions aux investissements : modernisation en élevage et bien-être animal, appels à projets circuits courts, haies, photovoltaïque…
L’essentiel est que l’encours de financement que vous avez à souscrire et que l’ensemble de vos remboursements mensuels reste soutenable, sinon à, la moindre variation (prix, météo, aléas sanitaires), votre trésorerie risque de se fragiliser.
👉 Si vous êtes encore dans le flou sur cette partie, nous avons l’expertise pour vous aider à structurer votre plan de financement, vérifier les aides mobilisables, et faire en sorte que votre projet soit bien financé dès le départ.
7. Gérer l’administratif sans s’y perdre
3 papiers rythment la plupart des projets :
- Dossier installation (DJA) : un classeur où vous compilez le parcours de formation, les différents rendez-vous avec les partenaires, les demandes d’autorisations administratives (autorisation d’exploiter, votre éventuel dossier agrément GAEC, votre dossier de déclaration d’effectif d’élevage, numéro EDE et PACAGE, MSA, date de passage en CDI pour obtenir la DJA, immatriculation de l’entreprise…), vos simulations de financement bancaires et votre accord bancaire, votre étude de marché si besoin, votre prévisionnel économique, les demandes de subventions à l’installation.
- Déclaration annuelle des surfaces et des productions pour toucher les aides européennes (PAC) : à envoyer chaque printemps entre début avril et mi-mai et suivi en lien avec le dépôt de cette déclaration (plan prévisionnel de fumure, cahier d’épandage, registre phytosanitaire, documents de suivis d’engagements et de respect de la conditionnalité des aides PAC…).
- Statut juridique de votre entreprise : entreprise individuelle (EI), EARL, SCEA (formes sociétaires d’exploitation légères) ou GAEC (forme plus collective avec agrément à obtenir). Chaque statut a des impacts sur la fiscalité et la protection sociale, discutez-en avec un conseiller Cerfrance avant de signer.
Créez un tableur chronologique : attribuez à chaque document une date limite et un responsable (vous, votre notaire, votre centre de gestion). Vous verrez toute la chaîne d’un coup d’œil.
8. Intégrer dès le départ la dimension climat et carbone
Les conditions climatiques évoluent, et les coûts de l’énergie pèsent de plus en plus dans les charges d’exploitation. Dès la phase de projet, intégrez un plan d’adaptation climatique : rotation des cultures, espèces végétales cultivées, variétés résistantes, ombrage pour le bétail, ventilation des bâtiments d’élevage, stockage d’eau. Sur l’énergie, réfléchissez à l’autoconsommation ou la revente et au pilotage des pics de consommations : vous stabiliserez vos coûts.
Le volet carbone devient un dispositif de plus en plus stratégique.
Il est désormais pris en compte dans certaines aides, valorisé par les acheteurs, et peut être un réel atout lors d’une future transmission. En l’intégrant dès le départ, vous positionnez votre exploitation dans une dynamique de long terme, compatible avec les attentes du marché et les futures obligations réglementaires.
C’est une réflexion à mener dès la conception du projet, au même titre que les aspects économiques ou fonciers.
9. Les premiers 18 mois après votre installation
Après l’installation : piloter, apprendre, ne pas rester seul
Les 18 premiers mois décident souvent du succès. Bons nombre d’études autour de l’installation pointent l’isolement comme première cause de décrochage chez les jeunes installés. Rejoignez une CUMA, un groupe d’échanges techniques, ou le club jeunes agris animé par Cerfrance : vous y partagerez votre expérience entre pairs, ratios économiques, astuces coûts alimentaires, mais aussi doutes et coups de fatigue que seule une communauté peut entendre. Et fixez-vous un rendez-vous trimestriel de suivi de vos indicateurs de pilotage et annuel de bilan et de projection N+1 : analyse des marges, suivi carbone, plan d’investissements, prévisionnel de trésorerie et de résultats, projets.
Mois 1-3 : mettez en place un suivi simple des entrées-sorties avec votre conseiller que vous suivez réguliérement.
Mois 4-6 : testez vos premiers indicateurs (dépenses alimentaires, d’intrants, principales autres dépenses, recette par nature et activité). Pas pour vous juger, pour comprendre d’où vient ou où part chaque euro.
Mois 7-12 : rejoignez un groupe d’agriculteurs ; échangez vos résultats, vos difficultés, vos bonnes adresses. Vous apprendrez plus vite et vous garderez le moral.
Mois 13-18 : réalisez un petit audit énergétique et carbone. Vous verrez où se cachent 2 ou 3 leviers faciles : baisser un ventilateur la nuit, réduire l’engrais minéral grâce aux légumineuses, etc.
Un calendrier type : les grandes étapes du parcours à l’installation
Pour vous donner une idée plus concrète, voici un exemple de déroulé classique d’un parcours à l’installation, avec une hypothèse de lancement d’activité au 1er janvier 2026 :
Hypothèse de lancement d’activité au 1er janvier 2026
Dépôt de la demande d’autorisation d’exploiter | Réalisation de l’étude d’installation | Dépôt de l’étude d’installation sur la plateforme | Dépôt du dossier DJA | Passage en Comité Départemental Installation (CDI) | Attribution de la DJA |
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Idéalement le 1er mai 2025 | Entre mai et début août 2025, avec un passage en banque courant août | Le 26 août 2025 | Le 4 novembre 2025 | Le 9 décembre 2025 | Autour du 30 décembre 2025 |
Votre ferme de demain, aujourd’hui
S’installer n’est ni une course aux subventions, ni une simple déclaration MSA : c’est construire une entreprise agricole capable de résister aux aléas de marché et aux défis environnementaux.
En 2025, les outils existent : DJA modernisée, portage foncier, démarche de transition, marchés du carbone, production d’énergie, dispositifs d’accompagnement technique et humain. Encore faut-il savoir enchaîner les démarches dans le bon ordre, et surtout, garder une vision d’ensemble pour que vous soyez capable de porter et présenter votre projet en vue de faire adhérer vos partenaires techniques commerciaux et le faire financer par un partenaire bancaire. Tout cela dans le but de vous épanouir dans votre métier et en vivre à la hauteur de vos attentes !
Des questions, un conseil ?
C’est la mission de nos conseillers Cerfrance : sécuriser votre activité et rester à vos côtés les premières années, celles où tout se joue.
Alors, êtes-vous prêt à prendre le relais ? Échangez avec nos experts et construisons ensemble votre projet. La prochaine exploitation agricole à naître dans la Sarthe ou la Mayenne porte peut-être déjà votre nom.
Événement : journée de l’installation
Venez découvrir comment vous lancer !
📆 Rendez-vous le 3 juin 2025, à partir de 9h45, à Chârtres-la-Forêt
Au programme, 4 temps forts à ne pas manquer :
- 4 jeunes en cours d’installation : leurs parcours et leur différences
- L’installation agricole : regardfs de nos experts
- 4 exploitants reviennent sur leur parcours : quelle leçon partager ?
- Agriculture & installation, cassons les codes !
Avec la participation de François BLOT, ancien Président des JA, Benoît FILOCHE, administrateur APLBC et Julien MEZIÈRE, administrateur suppléant à l’APBO